Je ne serai jamais capable ...

On m’a raconté que William était rentré dans l’entreprise comme technicien électricien au bureau d’études naissant puis qu'il s'était passionné pour les automatismes devenant de plus en plus important sur les machines de blanchisserie.

Quand je suis arrivé comme PDG dans l’entreprise, il y avait un “directeur des usines“, qui régnait en despote sur la fabrication, les méthodes, et le bureau d’études.

Techniquement très compétent il siégeait dans les réunions de l’AFNOR, la normalisation française, où il représentait l’entreprise.

Malheureusement nos conceptions du management étaient absolument opposées, et je n’ai pas réussi à lui faire partager mes méthodes. Nous nous sommes donc séparés, et le jour de son départ il a eu ce mot qui tue “moi parti, l’entreprise ne pourra plus participer à la normalisation“. D’autant plus vache qu’il savait que je considérais le sujet comme absolument stratégique. Comme il manquait de compétence en électricité et automatismes, il s’était fait accompagner souvent par William.

Une réunion de normalisation était prévue pour la semaine suivante et je voulais absolument que nous soyons représentés. Je suis donc allé voir William pour lui demander d'y aller et de représenter l'entreprise.

“Moi ? mais je ne suis pas capable !“.

Sur mon insistance il a accepté, et ça s’est très bien passé.

Puis il a beaucoup travaillé le sujet pour acquérir les compétences nécessaires, et a continué à nous représenter, avec un grand succès et à la satisfaction des responsables de l’AFNOR et de tous les participants.

Car William avait 3 secrets, sa capacité de travail, et sa gentillesse et modestie qui lui permettait d’obtenir un consensus parmi les participants dont les intérêts étaient pourtant divergents. Mais le troisième secret, bien caché, c'était sa volonté de réussite.

 

Quelques mois plus tard l’AFNOR a cherché un spécialiste pour représenter la France dans les travaux de normalisation européennes.

Ils m’ont demandé si j’accepterais que William … bien évidemment.

Vous parlez anglais William ? Ben oui, j’ai appris aux cours que vous avez organisé.

En arrivant dans l’entreprise, j’avais embauché un prof d’anglais à demeure, et en 2 ans on est passé de 3 personnes parlant l’anglais à 40.

William a donc commencé a aller régulièrement à Bruxelles pour participer à la normalisation européenne, puis il en est devenu le patron.

Habilement il a manigancé la création d'un poste de Président du Comité Technique de l’ISO (normalisation mondiale), et ne pouvant être candidat, car il fallait un big boss, il s’est arrangé pour me faire élire. J’y suis resté 14 ans, mais c’est lui qui faisait tout le boulot et était en sous main le vrai patron.

 

Il a écrit toutes les normes de sécurité, les normes de performance, les normes d’hygiène en application en Europe et dans le monde.

Avantage concurrentiel énorme. Par miracle (!!), toutes nos nouvelles machines étaient parfaitement conformes aux normes pas encore en vigueur.

Prendre en compte une norme dès la conception ne coute pas grand-chose, modifier une machine existante peut se révéler impossible et affaiblir considérablement des petits concurrents incapables de suivre la cadence.

Pour couronner le tout il a organisé avec son copain de toujours Claude Dermy l'accréditation COFRAC du laboratoire. Nous étions la seule entreprise privée au monde à être certifiés ISO 9001, 14001 avec un laboratoire accrédité, qui nous permettait de certifier non seulement nos produits mais également ceux de la concurrence (jubilatoire).

Ajoutons que mes Présidents successif étaient tout à fait opposés à ces activités qu'ils voyaient comme une perte de temps et une grosse perte d'argent, et tout naturellement ils ont tout détruit après mon départ.

 

William faisait donc bureau d’études à ¾ temps et normalisation à ¼ temps. Et puis un jour il en a eu marre du bureau d’études.

Il a rejoint le pole audit-formation-conseil, transformé pour l'accueillir.

Son nouveau job consistait à faire des conférences sur la normalisation en blanchisserie, sur l’hygiène etc. toutes choses qu’il connaissait mieux que personne.

Puis comme il était devenu extrêmement connu et respecté dans la profession, il faisait des audits d’organisation chez les clients, prêts à payer cher les services d’une telle star.

Et enfin à leur suggérer d’acheter nos machines particulièrement bien adaptées aux normes de plus en plus sévères ... quand c'est le client qui finance le vendeur c'est tout aussi jubilatoire.

 

Il disait qu’il ne serait jamais capable …

 

Ce qu’il y a de plus motivant dans le boulot de patron, c’est de faire découvrir à ses collaborateurs bien aimés leurs talents cachés.

extrait du livre "le lavoir de la rue Godard Pillavienne" de William Drot. Imprimerie de la renaissance.
extrait du livre "le lavoir de la rue Godard Pillavienne" de William Drot. Imprimerie de la renaissance.