Pour faire baisser les coûts dans un site, il faut donc descendre dans la courbe d’apprentissage.
Pour cela 2 conditions :
-Que la pente de la courbe soit négative, c'est-à-dire que l’accumulation
d’expérience entraine bien une diminution des coûts. Ce qui est vrai à Aïoi et faux à La Ciotat mais dans beaucoup d’autres entreprises également.
-Que l’on se déplace sur cette courbe, c'est-à-dire que l’on produise des objets ou des services qui permettent d’accumuler de l’expérience pour la production des objets ou services
suivants.
Pour descendre très vite sur la courbe d’apprentissage, tout en faisant des produits différents, les japonais ont inventé une méthode remarquable : elle consiste à faire des produits semblables, autant que faire se peut. Le secret de cette apparente contradiction s’appelle STANDARDISATION.
-standardisation des navires :
Un navire est une boite qui flotte -> COQUE
Qui se déplace -> MACHINE
Qui abrite un équipage -> EMMÉNAGEMENTS
Qui transporte quelque chose -> TRANCHE CARGAISON
Pour une taille de navire, un déplacement et une vitesse donnée, deux navires de familles différentes pourront avoir une coque, une machine, et des emménagements semblables, seule changera la tranche cargaison.
Ainsi la série F (Freedom, Fortune, Friendship, Future) propose 9 couples taille-puissance différents, avec une tranche cargaison au choix. I.H.I. a construit plus de 250 navires de type F.
A La Ciotat deux navires sont sister-ships ou totalement différents, nous ne savons pas faire des navires presque pareils. Soyons honnêtes, nos armateurs-clients aiment bien les navires sur
mesure de haute couture au prix du prêt à porter.
-standardisation des composants.
Un navire est constitué d’une multitude de sous ensembles fonctionnels. Par
exemple les bouteilles d’air de lancement qui servent au démarrage des moteurs Diésel. 3 installations type ont été conçues par I.H.I. : le petit modèle, le moyen et le gros. Quelque soit le
navire, quelque soit sa taille et son type, il recevra obligatoirement l’un des trois modèles en catalogue. A La Ciotat, on en invente un nouveau pour chaque navire. Il en est de même pour tous
les composants, du plus gros au plus petit.
Tout est standardisé à IHI :
-les études et les méthodes de production.
-les documents, procédures, réunions, rapports humains.
-les commandes, les spécifications, les fournisseurs.
-la planification et … les standards.
Mais ce n’est pas l’administration et son règlement rigide et immuable. Des commissions (standardisées) étudient les idées d’amélioration qui ont été proposées et remettent ces standards en cause chaque fois que des améliorations notables peuvent être apportées.
Bien entendu, les ingénieurs de La Ciotat en ont compris depuis longtemps l’importance, mais ce n’est pas une religion comme à Aïoi. Le mécanisme d’amélioration par la standardisation est en effet d’une logique primaire (on perçoit immédiatement les conséquences de ses actes). Ce mode de travail a un intérêt évident c’est de ne pas avoir à refaire plusieurs fois la même chose. On pourrait en espérer une rapide extension à La Ciotat, le seul frein serait la difficulté à trouver des consensus sur les choix techniques ou de procédure.
Le second volet de la descente dans la courbe d’apprentissage est d’avoir une pente négative, c'est-à-dire de s’améliorer par l’apprentissage….
Le rapport Ravaille (La Ciotat 1973) insiste sur l’utilité du Bureau des Temps, qui est censé allouer un temps le plus juste possible à chaque tâche. C’est nécessaire pour faire les plannings comme pour calculer les boni des ouvriers. Ravaille constate que si les temps alloués sont trop longs, les équipes ralentissent le travail pour l’occuper intégralement, et s’ils sont trop courts cela désorganise le planning qui dérape. Il existerait donc un temps fixe, juste pour réaliser une tâche, alors que chez nos japonais le temps juste, c’est 10% de moins que l’année dernière.
La philosophie de l’un est statique, et celle de l’autre dynamique.
« L’obligation d’améliorer le système ne s’arrête jamais » Dr Deming.
Petit exemple : lorsque l’on doit souder à plat deux pièces perpendiculaires, comme les renforts régulièrement espacés d’une cloison, on peut utiliser un petit bricolage qui s’appelle une sauterelle, permettant à la baguette de soudure de s’autoguider et donc le soudeur peut la mettre en place et attendre qu’elle se soit entièrement consumée pour la changer, ou bien la guider à la main avec la pince à souder classique. Pas de différence sur les temps. Dans le chantier d’Aïoi, les soudeurs adroits arrivaient à faire travailler six sauterelles en même temps et donc, à faire 6 fois plus de soudure dans le même temps. Ils m’ont racontés que ça s’était fait progressivement à force de petites astuces. A La Ciotat, le mieux que l’on sache faire c’est 2 sauterelles par soudeur. Comme partout on retrouve notre rapport de productivité de 1 à 3.
TECHNIQUE D’APPRENTISSAGE
Il existe deux manières pour apprendre :
1-par la relation PROFESSEUR -> ÉLÈVE.
Les connaissances de l’élève sont alors limitées à celles du professeur, ce dernier ne pouvant lui apprendre ce qu’il ne sait pas.
2-par l’ESSAI -> ECHEC à retour d’information pour améliorer l’ESSAI SUIVANT.
Longue à utiliser, elle est limitée par le temps.
3-l’association des deux techniques n’a pas de limites puisqu’elle nous a permis de passer de l’âge de pierre à l’informatique en quelques milliers d’années.
Un apprenti ne peut devenir un bon ouvrier que s’il a eu un bon professeur et qu’il a eu le temps d’expérimenter son savoir. Nous verrons que cela s’est, au moins partiellement, perdu à La Ciotat.
Ce sont les éléments de base nécessaires, communément admis, mais très insuffisants.
“… nous a permis de passer de l’âge de pierre à l’informatique“, c’est faux pour
une partie de l’humanité qui en est encore à l’âge de pierre. Quand on regarde l’histoire de notre pays, il y eut des périodes de développement fulgurant, des périodes de stagnation voire de
régression, avec les mêmes hommes. L’apprentissage et le progrès qui en découle ne sont pas innés et naturels ils ne viennent que par l’envie, l’effort et la pression de l’environnement.
Un exemple basique pour imager cela : une personne rentre chez elle tous les soirs, son trousseau de clef à la main. Fatiguée, elle pose ses clefs sur un meuble dans l’entrée, ou avec les
courses dans la cuisine, ou les remets dans son sac ou ses poches. Le lendemain matin, panique “ou ai-je mis mes clefs ?“. Quand les clefs sont retrouvées le problème est réglé et oublié
jusqu’au lendemain matin. Elle ne progresse donc jamais.
Pour progresser il lui faudrait avoir conscience que le progrès est nécessaire et possible et s’attaquer non au problème, mais aux causes du problème, c'est-à-dire à ce qui se passe en arrivant
le soir. Il est probable qu’un crochet dans l’entrée dédié aux clefs résolve définitivement le problème et permette de s’attaquer au problème suivant.
Pour les entreprises c’est pareil, si les dirigeants ne donnent pas l’exemple de l’apprentissage et du progrès, ne créent pas les structures nécessaires, n’encouragent pas, bref ne créent pas l’environnement et la culture propices, l’apprentissage et le progrès ne tomberont pas du ciel. Il existe des entreprises apprenantes, en progrès permanent, et des entreprises qui ne progressent pas … puis disparaissent. Curieusement il suffit parfois de changer un homme pour passer de l’un à l’autre et inversement.