ÉVOLUTION DE L’ENCADREMENT A LA CIOTAT.
Comme nous l’avons vu Fig.22, le système I.H.I. a été conçu pour qu’il y
ait le minimum d’échanges d’information nécessaire entre les services, et que ces échanges soient les plus faciles possibles, ce qui est propice au retour d’information donc l’apprentissage.
Alors qu’à La Ciotat, à l’inverse le système avait été conçu pour qu’il y ait le maximum de relations nécessaires et que ces relations soient difficiles ou impossibles.
Il est intéressant de voir comment le système a évolué après la disparition de la politique de luttes intestines et de voir si la capacité à échanger, donc la capacité d’apprentissage s’est
améliorée.
Le premier facteur défavorable était que les cadres de production étaient presque tous ciotadens et autodidactes, alors que les ingénieurs d’études étaient diplômés, majoritairement travailleurs
immigrés (venant d’au-delà du Pas de Belle Fille, limite entre La Ciotat et le monde étranger). On peut voir que la proportion de cadres diplômés parmi les cadres opérationnels de production
s’est progressivement normalisé jusqu’à la fusion dans la Normed, pour s’effondrer ensuite. Par contre nous voyons que le nombre total de cadres opérationnels diminue constamment et fortement. Je
ne sais pas à partir de quelle baisse du nombre de cadres, on ne peut plus encadrer efficacement les plus de 2000 personnes qui restaient à la production, mais ce seuil était certainement
dépassé. L’évolution favorable de la proportion de cadres diplômés a donc été contrebalancé par l’évolution défavorable du nombre de cadres à la production alors que les services techniques et
administratifs restaient constants.
Mais s'il ne restaient que 10% de cadres en première ligne, là où se passaient les combats, que faisaient les 90% restant ? Bien planqués à l’arrière dans leur bureau climatisé !
Un autre point important est la connaissance de leur métier des cadres de production. Pour connaitre son métier, il faut, comme nous l’avons vu : 1-avoir eu un professeur, c'est-à-dire un prédécesseur qui vous a appris le métier. 2-avoir une ancienneté suffisante dans le poste pour avoir fait les erreurs qui permettent de progresser. On voit sur la figure que les changement de postes ont été si nombreux que le prédécesseur de chacun des cadres en place n’avait pas eu le temps d’apprendre son métier et qu’il n’avait donc pu être le professeur de son successeur. Et enfin que les cadres actuellement en place ayant en moyenne moins d’un an d’ancienneté dans leur poste, ne sont pas encore capables d’exercer efficacement leur métier.
Je crois que la clef de tout progrès est l’apprentissage, que ce soit pour un
individu, ou une organisation d’individus. J’ai vu chez I.H.I. à La Ciotat ou ailleurs des structures hiérarchiques différentes. Ma question est donc : existe-t-il des structures
hiérarchiques plus efficaces que d’autres ? Et comme je n’ai trouvé aucun élément dans la littérature spécialisée, j’ai du inventer un outil pour faire une telle mesure. …( J’ai retiré ce
chapitre, ce texte étant déjà bien trop lourd et indigeste) … Elle montre que les dernières organisations hiérarchiques de La Ciotat ont perdu de l’efficacité. En fait l’impression est que cette
structure n’a jamais été pensée dans sa globalité.
Durant ces 10 dernières années, La Ciotat a connu 6 structures différentes, au rythme de ses changements de Direction. J’ai schématisé ces structures figures 25b en les simplifiant pour qu’elles
n’aient que 3 niveaux. Avec le nombre réel de 4 ou 5 niveaux, les résultats sont encore plus nets, mais de présentation trop complexe.
L’analyse de la structure hiérarchique d’AIOI montrera qu’elle a été pensée pour optimiser l’apprentissage. Alors qu’à La Ciotat elle a été pensée probablement pour caser les copains
LE STAFF A AIOI.
M.KONISHIWA a un staff composé de 4 cadres et 2 administratifs. Un des cadres
est autodidacte, il est passé par toute la hiérarchie de la production, il a donc une bonne connaissance des problèmes du terrain. Un autre est Ingénieur diplômé, après quelques années à ce poste
il ira au bureau d’études où, si il est particulièrement brillant deviendra chef de section de production. Les deux autres ont des diplômes intermédiaires (genre B.T.S.) et quelques années
passées sur les travaux.
Le staff est l’idée évidente et géniale qui permet à tout l’ensemble de fonctionner, c’est la goutte d’huile dans la mécanique. De par sa composition il a un potentiel intellectuel et une
connaissance du tas excellente.
Il a 4 rôles essentiels :
1-Il est le professeur de l’équipe. Il vient régulièrement voir l’équipe pour lui apprendre à mieux travailler.
2-Il est le conseiller du contremaitre. Il l’assiste pour tout ce qui concerne les plannings, les charges, les budgets.
3-Il est l’assistant du chef de section. Il s’occupe des problèmes techniques, de méthodes et de gestion.
4-Il est le vecteur de l’information entre la section et l’extérieur. Il renseigne l’équipe sur les conséquences en aval de son travail, renseigne les services
fournisseurs en amont sur les problèmes rencontrés sur le terrain. Il discute avec les bureaux d’études de l’amélioration de la conception pour simplifier le travail en production ; discute
avec les approvisionnements pour mettre en place le « juste à temps ». etc…
C’est son travail qui a permis à la section armement machine de proposer puis d’appliquer les grandes stratégies d’amélioration de la productivité, dont le système
d’approvisionnement en juste à temps dont on voit la chaine de fonctionnement figure 27, aboutissant à un résultat étonnant LA PALETTE figure 28.
On va s’arrêter un peu pour creuser ces deux concepts.
CHAINE D’APPROVISIONNEMENTS
(Fig.27).
Les
projets puis les études se font par systèmes. La machine est un lieu, la propulsion un système, le monte plats ne fait pas partie du lieu cuisine, mais du système cuisine. On définit donc d’abord
les approvisionnements en faisant une liste des matériels par systèmes MLS. Les approvisionnements à délai long sont ainsi passés très tôt. La MLS est éclatée par zone, en bloc ou tronçon qui
devient là une liste des matériels par zone MLF, qui elle-même sera éclatée en une liste des matériels par composants MLC (par module, support etc…). Et enfin une liste des matériels par tuyau
MLP (brides, vannes, purges, joints etc..). Les matériels standards et non standards sont achetés aux dates qui conviennent pour être livrés, réceptionnés et stockés au magasin juste avant la
date de besoin. C’est là qu’ils subiront le processus de la palettisation.
LA PALETTE (Fig.28) .
Ce n’est pas du tout ce que vous croyez (Fig.29)
C’est un petit train qui arrive à l’heure prévue, au lieu prévu et qui contient la totalité de ce qui sera nécessaire pour effectuer le travail. L’équipe de M.KONISHI en reçoit une ou deux par
semaine.
La palette comprend l’ensemble des documents nécessaires pour effectuer une tache à effectuer en un lieu (module ou bloc ou bord), a un moment donné, en général la semaine, par une
équipe : plans & croquis, liste du matériel (MLF), des composants (MLC) des tuyaux (MLP), les heures budgétées, les besoins en logistique. La palette comprend également l’ensemble
des « choses » qui seront nécessaires : tuyaux, supports, carlinguages, matières, modules, peintures, outillage etc…
Que de fois ai-je entendu à La Ciotat : « tu as un problème, et bien tu te dem… », ça n’existe pas sur le chantier d’Aïoi.
MÉTHODE DES PETITS GROUPES 3 Z.
Chaque équipe se réunit pendant une heure une fois toutes les 2 semaines
pour former un groupe 3 Z : Zéro accident, Zéro défaut, Zéro perte (temps, argent, matière, etc..).
L’animateur est le chef d’équipe, la présence n’est pas obligatoire, mais bien que 46% des membres pensent que ces groupes sont inutiles, la pression du groupe aidant, 100% y participent.
Les objectifs sont fixés par la hiérarchie, en général ce sont des sous objectifs de la politique générale annoncée par la Direction. Au moins ils sont au courant de la politique générale, et
leur rôle dans l’évolution de l’entreprise, car quand on ne connait pas la stratégie de la Direction, on s’imagine facilement, et souvent à juste titre, qu’elle n’en a pas (or naviguer dans la
brume épaisse n’est pas recommandé dans la marine).
Chacun se doit d’émettre des propositions, des suggestions qui seront toujours notées sur le rapport, quelquefois récompensés. La Direction suit comme un indicateur important le nombre de
suggestions par employé, même les plus farfelues.
Si les idées manquent , le staff, le contremaitre, même le chef de section peuvent venir aider.
Les effets apparents sont faibles, mais c’est un travail de fond pour obliger les gens à réfléchir, à se contrôler, à s’améliorer.
Un outil magique (Fig.30)
pour tout résoudre, pour tout faire : « Comment avez-vous résolu ce
problème, cette difficulté, cette amélioration etc…? » à ces question qui revenaient toujours, nous avons toujours eu ma même réponse « on a fait un plandosee évidemment ».
Chaque action est précédée d’une planification, on prévoit ce que l’on va faire : PLAN.
Puis on le fait conformément a ce qui était prévu : DO.
Enfin on observe les résultats et les écarts entre la prévision et la réalisation : SEE.
Enfin on analyse les raisons des écarts pour les corriger et faire une meilleure prévision au tour suivant : CORRECT.
Cela s’appelle le cercle de DEMING, totalement inconnu en France à cette époque.
Le second outil magique
(Fig.31)
est l’enrichissement des tâches. Le boulot d’un individu est de continuer le
boulot du précédent et de préparer celui du suivant. On va donc demander au staff des modifications chez le prédécesseur pour se faciliter le travail, et on fera de même avec le successeur. Même
si ce n’est pas vraiment du travail à la chaine, c’est pensé par tous comme tel, un travail d’équipe.
En France en 1982 est sortie la loi AUROUX demandant aux entreprises de pratiquer des réunions d’expression des salariés. 4 ans plus tard, elle n’était toujours pas mise en application à La Ciotat.
LA COQUE
On a beaucoup parlé de l’armement, (ce qui frappe le plus au premier abord) mais n’oublions pas la coque, où leurs progrès furent moins visibles mais aussi impressionnants.
D’abord, on peut construire plus simple, comme la figure 32, où l’épontille
japonaise coûte 20 fois moins cher que la française, mais ce n’est pas sans conséquence sur le poids à vide du navire, donc sa capacité de transport. En effet, La Ciotat était championne de
l’efficacité, de la légèreté des coques mais aussi de la complexité.
En visitant les ateliers de préfabrication, nous n’avons rien vu de révolutionnaire. Ils avaient une meilleure automatisation que nous dans l’atelier de « panneaux plans », mais le
reste était semblable. Le choc a eu lieu lorsque nous avons vu arriver un nouveau tronçon dans la cale. La soudure consiste à apporter violemment de la chaleur, jusqu’à la fusion du métal qui
libère les tensions, en se refroidissant le métal se rétreint et la pièce se déforme. Il est donc pratiquement impossible de souder des éléments sans les déformer un peu. Donc le tronçon qui est
un volume de coque en 3 dimensions, d’une taille importante, 10 à 30 m de longueur, largeur, hauteur, n’a jamais exactement les dimensions prévues (voir la fig.17). Ce que font pratiquement tous
les chantiers consiste à laisser une sur-longueur de quelques centimètres d’un côté, de mettre côte à côte le dernier tronçon avec le précédent, puis de couper exactement ce qu’il faut de
sur-longueur pour « accoster » les deux tronçons et pouvoir ainsi commencer à les souder. Durée de l’opération 2 à 3 jours en 3x8. Et bien ce que nous avons vu c’est que le nouveau
tronçon arrivait prêt à être soudé, sans qu’il soit nécessaire de recouper quoi que ce soit. Ce qui voulait dire qu’ils étaient capables de fabriquer un grand tronçon sans aucune déformation avec
une précision millimétrique.
Il aurait été impossible d’arriver à un taux de préarmement proche de 100% sans une telle précision sur la fabrication des coques.
« Comment faites vous un tel exploit ? » « c’est simple, 30 ans de mesures et de statistiques et plandosee ». En plus il devait y avoir un peu de préchauffage dans certains coins que nous n’avons pas pu voir.