CONCLUSION

 

LE RETOUR DU SAMOURAÏ.

 

A mon retour du Japon, j’ai été invité à faire une série de conférences dans les chantiers. La dernière eut lieu à Paris au siège social du groupe, le 18 mars 1986 à 14h, devant tous les grands directeurs. Vous ne connaissez plus les Shadocks, c’était, dans les années 60, un petit dessin animé à la télé qui racontait l’histoire de petites bestioles complètement stupides. « Ce n’est pas la peine de regarder ou on va, on verra bien quand on y sera » était leur devise et certainement celle des directeurs qui m’écoutaient … et bien maintenant on y était ! Faire ma présentation à base de Shadocks, c’était ouvertement les prendre pour des guignols, mais personne n’a osé m’arrêter et me virer sur le champ. 2 heures d’exposé, 2 heures de silence pesant dans la salle ponctué par les ronflements du président qui avait trop bien déjeuné. Quand j’ai fini, ils ont commencé à s’insulter se renvoyant la responsabilité de cette déroute, ce qui a réveillé le président et je me suis éclipsé.

 

 

 AVANT : LE RAPPORT RAVAILLE.

 

Dans les années 60 le cabinet de conseil « MOYENS & METHODES » de Monsieur RAVAILLE est venu faire des audits conseils très approfondis des Chantiers Navals de la Ciotat. Je n’ai pas vu l’ensemble des rapports, juste un résumé de la philosophie publié en 1973 que j’ai pu étudier. Le rapport complet qui a servi de guide à la direction de l’entreprise est resté secret ou plus vraisemblablement a été oublié ou perdu, et au vu du résumé n’a été que peu ou pas appliqué.
La base conceptuelle du résumé est : « l’empirisme organisateur » (pouvant être traduit pas « le bordel organisé »), effrayant ! Certes mais il y a des choses pertinentes !

 

Il dit entre autre:
« Même si un chantier a la commande d’une série de navires rigoureusement identiques, la construction navale ne sera jamais une industrie de série. » Cela venait 30 ans après les liberty ships, construction en série de navires identiques. Et 10 ans après la mise au point de la fabrication en série de navires différents au Japon.
« Souvent les exigences de l’Armateur, quelquefois les imprécisions volontaires du chantier conduisent à des négociations qui se poursuivent encore pendant les études qu’elles retardent aussi , rendant aussi plus difficile la coordination avec les approvisionnements et l’exécution. » Depuis bien longtemps, l’armateur français (donc connu des chantiers français) ne faisait pas de cahier des charges pour commander son navire au Japon, il cochait ses choix sur les listes préétablies par le chantier. S’il voulait autre chose, c’était  plus cher.

 

« Signalons encore les recherches fastidieuses du matériel aux magasins par des chefs d’atelier et des contremaitres, qui abandonnent, pendant des heures, la surveillance de la production dont ils sont responsables. ».  Au Japon, le magasin livre tous les matins, sur le lieu de travail, les matériels dont l’équipe aura besoin. Les outils sont en libre service, et personne ne les volent. La preuve par les quincaillers en ville ; si on a besoin d’un marteau, on l’achète, on ne le fauche pas comme à La Ciotat.

 

« Parlons enfin du temps passé par différents contremaitres à l’étude d’une liasse de plans alors qu’une nomenclature bien faite, mise à leur disposition, supprimerait cette inefficience. ». Les plans n’étaient pas conçus pour être lus et compris à la production.  A l’échafaudage, j’avais moi-même fait des formations à la lecture des plans à tous mes ouvriers et chefs d’équipe, car la plupart des ouvriers des échafaudages en étaient incapables faute de formation et de documents lisibles. Exemple : un bon ouvrier sait lire une cote, prendre son mètre et mesurer sur place la cote, mais il ne sait pas faire une série d’additions et de soustractions pour calculer la cote qui lui est nécessaire et qui ne figure pas sur le plan. Le plan est coté par et pour le bureau d’études et pas pour l’ouvrier.

 

Etc … déjà en appliquant toutes ces recommandations on aurait pu beaucoup évoluer, c’est probablement parce qu’ils n’ont pas fait grand-chose que le rapport est resté secret.

 

APRÈS : « LA FIN DE LA NORMED OU LA RECONVERSION DE 12000 SALARIES » Guy Royon.

 Ce sont les constats du médecin en soins palliatifs chargé d’organiser le coté social de la mort de la NORMED. Bien que l’auteur ne connaisse pas vraiment la construction navale, et n’ait pas remonté avant la décision finale de la fermeture des chantiers qui date approximativement de 1984. Ses constats sont relativement impartiaux donc intéressants.

 

La construction navale coutait à l’Etat 200.000 francs par salarié, plus que les salaires chargés, ce qui était insupportable. La décision d’arrêter ces aides à terme prise en 1984 pour 6 chantiers dont les 3 de la NORMED, était une condamnation logique et inévitable. Ma première remarque est que la mission japonaise pour laquelle je me suis tant investi, c’était du pipo, tout était déjà décidé.
« La loi Defferre de 1951 a pour but de compenser les surcouts engendrés en France pour des raisons structurelles … En période difficile cette aide permet de combler la différence entre le coût de production en France et le prix de vente possible. Ces aides … conduisaient à faire de cette industrie un ensemble plus ou moins assisté … cela n’a pas favorisé la recherche optimum de gains de productivité. ». Pour un patron, il est plus facile d’être un mendiant qu’un capitaine d’industrie, mais quel déshonneur !
« La Ciotat … un chantier où la lutte et la surenchère entre les dirigeants sont la règle … Un chantier capable de s’adapter très vite et qui a engagé une semi diversification dans la conversion et la réparation navale avec bonheur. Leader mondial dans la construction des navires transport de gaz liquéfié. Une situation financière seine, largement bénéficiaire. »

 « La CGT … prendra une attitude difficilement qualifiable à La Ciotat … livrant un combat douteux où les intérêts du Parti Communiste local au sein du Conseil Général paraissaient prévaloir sur les intérêts des ciotadens, en s’appuyant sur une fraction de plus en plus minoritaire … jouet d’une politique dont elle sera la victime. »

 

ET SI, ET SI, ET SI … C’ÉTAIT POSSIBLE !

Il n’est pas anodin de se demander si mes critiques et constations ne sont pas vaines dans la mesure où la fin était inéductable. En 1982, lors de la fusion forcée des 3 chantiers dans la NORMED, c’était clairement plié, mais y a-t-il eu un moment où les jeux n’étaient pas faits et où cela aurait pu se dérouler autrement ?

Ce moment clé s’est produit probablement juste après le départ de Jean-Marie TERRIN en  1964/68. Les C.N.C. étaient en pleine dynamique de modernisation, avec un carnet de commende plein, une qualité de construction largement reconnue et déjà une spécialisation dans les navires transporteurs de gaz liquéfié lancée par JM TERRIN en 1953. Quand on modernisait les installations et la technique pour les mettre au niveau des meilleurs, et que grâce aux clients fidèles comme Onassis, Fina, Exxon, Elf etc. on était parfaitement au courant de la révolution de l’organisation qui se produisait au Japon, c’était le moment idéal pour se lancer à leur poursuite dans l’apprentissage et le progrès permanent. En ne le faisant pas, nos dirigeants ont délibérément décidés de la « chronique d’une mort annoncée » , même si, grâce à la loi DEFFERRE, celle-ci n’a eu lieu que 20 ans plus tard.

Le succès de la réparation et transformation navale a montré que les ouvriers et la maîtrise étaient débrouillards et autonomes, à l’inverse des japonais. Avec les moyens existants il était possible, à ce moment là, de commencer une petite activité de diversification (usines de liquéfaction de gaz, de dessalement de l’eau de mer, entre mille exemples).

En arrivant dans les chantiers en 1974, j’ai découvert des hommes d’une grande compétence, aussi bien dans les bureaux d’études, que dans les ateliers ou sur les chantiers. Ils étaient pleins de bonne volonté, l’outil tant d’études que de production était moderne et efficace, les finances étaient saines, il ne manquait qu’une chose : des chefs capables de diriger et ça, on s’en rendait compte rapidement.
Donc OUI avec des industriels entreprenants et clairvoyants il était possible de sauver ce chantier à ce moment là.

 

VIVE LA FRANCE mon beau pays

 

Dans de nombreux secteurs industriels qui ont sombré on retrouve les 3 mêmes coupables :
1- Des directeurs aussi prétentieux qu’incompétents, n’ayant aucune vision. Suis-je injuste avec eux ? En quittant La Ciotat, ce qu’ils n’ont pas su faire, moi je l’ai fait et dans des conditions bien plus difficiles, montrant ainsi que c’était possible même pour un non diplômé du Génie Maritime.
2-Des syndicats politiques, plus préoccupés de l’avènement du grand soir de la lutte des classes que de l’avenir des salariés, qui expliquent que l'ennemi n'est pas le concurrent, mais le patron. Oubliant que les salariés qui ont enfin eu la peau de leur patron, comme à La Ciotat, s'appellent des chômeurs.
3-Des hommes politiques , qui ne comprennent rien à l’économie et qui s’en mêlent avec des objectifs uniquement électoraux. Préserver la paix sociale immédiate quitte à détruire définitivement l’industrie du pays. En 2018 alors que j’écris cette conclusion, c’est pratiquement réalisé, alors qu’en 1974, quand j’ai commencé à travailler, nous étions les champions du monde de l’exportation par habitant.

 


LE GRAND SECRET DES JAPONAIS ... CE QU'ON A COMPRIS AU DÉBUT

LE GRAND SECRET DES JAPONAIS ... CE QUE J'AI COMPRIS PLUS TARD.

SAYONARA